A la mi-octobre, nous nous sommes retrouvés, parents, enfants et quelques irréductibles, dans un chalet de l'Oberland bernois le temps d'un week-end. Retour sur ces quelques jours au pays de Heidi.
Le thème de cette rencontre s'intitulait : Corps sain, Coeur saint, Esprit Saint. C'est bercé par le doux son des cloches de vaches que le petit groupe a creusé cette vaste thématique.
Ici, au chalet dit "Bärghüsi", l'agitation de la vallée paraît bien lointaine. Le lieu est propice aux moments de convivialité. L'atmosphère calme et paisible de la région et l'isolement du chalet nous invitent à plus de simplicité. C'est peut-être ce qui fait le succès de l'ATAC : le retour aux choses simples. Une mar entre amis, un repas préparé et partagé par tous, un espace pour débrider notre imagination et transformer quelques pives en animaux fantasmagoriques. Ces moments de simplicité permettent aussi à une certaine profondeur d'émerger.
Un concept à spécialement attiré l'attention du groupe: celui de PPPP. On rêve tous de grandeur, de changer le monde, de faire de grandes oeuvres. Le Pape lui-même le dit: "N'ayez pas peur de rêver de grandes choses!" Mais aujourd'hui, quel est le Plus Petit Pas Possible (PPPP) que je puisse amorcer pour m'avancer vers ce changement? Quel élan du corps, du coeur et de l'esprit entreprendre pour plus de paix, d'amour et d'espérance en ce monde?
"Un voyage de mille lieues commence par un premier pas", disait Lao Tseu.
Et vous, quel est votre PPPP de ce jour? - Nicole GRANGE BERTHOD 20 octobre 2018
À l'école des miraculés
Toutes les journées ne se ressemblent pas. Toutes ne commencent pas de la même façon. Parfois, au point du jour, on se débat contre un tintement strident que même le plus épais des oreillers « 100% plume d’oie » ne saurait étouffer. Quelques notes mal placées qui résonnent comme un générique de série qu’on intitulerait volontiers « métro, boulot, dodo ». Mais il arrive aussi que certains matins, le soleil vienne nous cueillir sans peine. Ces matins-là, les douces lueurs de l’aube nous chatouillent au réveil. Et c’est rempli d’un bonheur léger que l’on savoure les promesses d’un nouveau jour.
Cette légèreté de vivre, nous l’avons expérimentée lors de notre séjour en terres rwandaises. Un temps béni où notre principale tâche était de garder le cœur ouvert et le regard attentif au monde environnant. Bien sûr, le rythme sobre des vacances estivales aide à se sentir en paix. Mais j’ai connu des vacances stressantes, où il fallait tout voir, tout goûter, aller plus loin, plus haut et plus vite. Là-bas, au Rwanda, une saine simplicité nous berçait, et ce, malgré la lourdeur du passé de ces contrées aux mille collines. En effet, tous connaissent l’histoire du Rwanda, tous ont en tête ce mot : « génocide ». Mais paradoxalement, en dépit des atrocités de 1994, les champs de la petite Suisse d’Afrique sont peuplés de gens au sourire malicieux et au regard plein d’espérance.
Nous avons découvert ce pays en deux temps. La première partie de notre voyage était consacrée à la visite d’amis de la famille Clerc. Durant cet intense pèlerinage de quatre jours, nous avons fait la connaissance de personnages surprenants aux histoires de vies riches et profondes. Lors de ce trek, nous avons reçu quelques bribes de « formation humaine intégrale » (FHI), formation qui nous berça le reste du séjour.
Puis, de retour au foyer de charité de Remera, le Père Zdzislaw (prononcez « zisouaf »), polonais d’origine, et Auréa, sœur rwandaise responsable de la communauté, nous ont initiés à la relecture d’expériences, à la décision libre, aux concepts de forces vitales, et j’en passe. Ces notions ne vous disent rien ? Pour faire simple, la FHI cherche à nous rendre libre en « réactualisant les forces vitales » contenues en chaque personne. Il s’agit, en analysant entre autre les décisions prises quotidiennement, de découvrir qui nous sommes vraiment, de prendre confiance en nos talents et de bâtir un monde de paix.
J’ai beaucoup été touchée par la place que prend le corps dans cet enseignement. L’identité corporelle, comme aiment à l’appeler les formateurs, est à la base de notre confiance. Habiter son corps est la première étape de la construction de soi. Nous sommes cette chair dans laquelle viennent se loger nos émotions, et d’autant plus nos frustrations. « Il a triste mine aujourd’hui », s’entend-on dire parfois d’un ami accablé par les soucis. « J’en ai plein le dos », s’exclame-t-on lorsque le poids des obligations nous écrase. « Ne te fais pas de bile ! » souffle-t-on à un collègue anxieux pour l’encourager. Lors de nos cours de FHI, on nous a proposé une approche très simple et concrète pour transformer nos préoccupations: il s’agit de « déloger ». Pour faire court : une fois l’émotion négative identifiée, il est question de ressentir où celle-ci se loge en nous. Est-ce le ventre qui est bloqué ? Les mâchoires qui sont crispées ? Puis, à l’aide d’exercices physiques courts et intenses, ou alors en secouant ses bras de manière vive, on chasse l’émotion négative avant de choisir la meilleure façon d’agir. Vous aviez envie de tordre le cou à votre cher et tendre ? Eh bien, après quelques pompes, vous voilà soudain enclin à engager une discussion constructive. Normalement, ça marche. Et ça paraît tout bête, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières, non ?
Cependant, les leçons de vie ne se reçoivent pas toujours sur les bancs d’école, même si lesdits bancs sont ceux de la FHI. Plus encore, j’ai énormément appris au contact de ces miraculés du génocide qui forment le peuple rwandais. La plupart des membres du foyer ont été menacés lors des évènements de 94. Et tous ont été touchés de près ou de loin par ces massacres. Cependant, leur cœur est en paix, et ils nous communiquent, à travers leur joie et leur sérénité, cette immense paix qui les habite. A Remera, on apprend à prendre le temps. Prendre le temps de parler. De se nourrir. De se reposer. De rire et de pleurer. Et parfois même de regarder, d’un regard différent que celui qu’on pose sur les choses de chez nous. C’est comme si un vitrier avait passé le racloire, et que tout devenait plus net. Les yeux s’ouvrent, et le cœur avec eux.
Et puis arrive le tsunami du retour. Revenir au pays, c’est retrouver nos proches, et nos racines. C’est retrouver ce que l’on aime et qui nous a forgé jusqu’au plus intime de nous-même. Mais c’est aussi désespérer devant les travers de notre temps. La comparaison avec les autres nous accable, le rythme effréné de nos programmes bien rodés nous fait perdre les pédales. On en vient même à se rendre compte que peut-être, on consomme jusqu’à nos amitiés.
Alors, que reste-t-il de ce voyage de la tête au cœur ? Il reste la certitude qu’une croissance est possible hors de l’activisme frénétique de notre temps, et qu’il est permis de vivre et de s’épanouir sans se sentir fatigué d’exister. Il reste l’espérance, cette espérance folle que oui, un monde de paix est possible. Que oui, la vie peut être paisible malgré les blessures endurées. Et qu’ensemble de belles choses se vivent et se construisent, simplement en étant prêts à laisser entrer la lumière dans nos vies. - Nicole GRANGE BERTHOD 26 septembre 2018
Bâtisseurs de ponts pour la paix
Les « bâtisseurs de ponts pour la paix », désignation bien poétique pour une mission à la portée pourtant si réelle. Véritable source de lumière, un engagement qui à l’instar du soleil se levant sur les collines rwandaises, mit fin à une sombre nuit.
C’est pourtant en foulant les riches terres du pays, en côtoyant ses habitants et en écoutant les enseignements du foyer de Remera qu’a réellement pris sens cette désignation. Il ne s’agit en effet pas seulement de construire des ponts de paix et de pardon entre voisins, familles et amis, il s’agit avant tout de rétablir ce qui est détruit entre chacun de nous.
J’ai appris que tout commence par moi. Je sais désormais qu’il est possible, grâce aux expériences les plus insignifiantes, de poser une à une les pierres d’amour et de pardon entre nos cœurs et nos espoirs perdus, nos attentes insatisfaites, nos déceptions récurrentes, nos promesses non-tenues et nos rêves brisés. Ce n’est pas tant ce qui est nous est arrivé qui importe mais ce qu’on en fait. J’ai appris que nous ne sommes pas condamnés à être prisonniers de notre vie, captifs d’une bâtisse menaçant de s’écrouler sous le poids de nos peurs et de nos chagrins. J’ai appris à regarder droit dans les yeux mes qualités et mes lumières plutôt que de baisser le regard sous le poids d’une perfide modestie m’obligeant à ne plus voir que les ombres. Elles sont toujours là, certes, j’ai simplement appris et choisi de détourner le regard.
J’ai appris qu’il faut se pardonner pour pardonner. S’accepter pour accepter. S’aimer pour aimer. Le principe paraît simplissime et pourtant. Il résulte d’un choix constant, celui d’oser penser à soi pour ensuite mieux penser aux autres. « On ne peut donner ce qu’on a pas » : plus que de simples mots, un véritable choix de vie. Le Rwanda m’aura beaucoup enseigné, certes mais il m’aura avant tout montré. Car je n’ai pas qu’appris toutes ces belles phrases, je les ai vues incarnées, par les membres du foyer tout d’abord puis par chaque membre du groupe. C’est la lumière sur les visages et les étincelles dans les yeux de ces personnes qui se sont chacune à leur tour choisies, aimées, priorisées et qui ont eu le courage d’oser être vraiment heureuses qui auront teintées ce voyage.
A chacun, je souhaite de ne jamais cesser de « lâcher prise sur le lâcher prise pour vivre ce que vous avez à vivre » car je sais que vous savez désormais ce que cela signifie et que vous en êtes capables.
- Sophia WYSSBROD 28 août 2018
Remera-Ruhondo, 2016
On ne peut pas se parler. On tente quelques mots en anglais. Ça ne marche pas. Le Kirwandais, impossible. Le français ? Banni. Pourquoi communiquer? Pourquoi ne pas laisser la sérénité du silence apaiser la tentation de se parler? Permettre au silence et au regard d'établir le lien entre nos cœurs. Les yeux sont le miroir de l'âme, alors mettons nos âmes à nus, regardons-nous et sourions. Pour une fois, on est sur un pied d'égalité, sans distinction. Le blanc des yeux, le rouge du sang, le jaune du soleil. Les mêmes teintes. ~ Les sourires et les regards heureux de ces enfants sont remplis d'un message méditant d'amour et de paix. La compassion, l'émoi, la fraternité et la joie dégagent un parfum de bonheur ultime. Moments inoubliables.
- Etienne RUDAZ 20 octobre 2017
Un voyage, une terre, le paradis.
Le calme, la tranquillité, la sincérité, la vérité. Tant de mots pour décrire cette ambiance, cette atmosphère. Vivre l'instant présent, sans soucis, sans traquas, sans questionnement, sans angoisse. Vivre le lever du soleil, écouter les chants mélodiques de la messe, boire un délicieux café, regarder le paysage, s'extasier devant le coucher du soleil, courir, rire, vivre. Simplement. Se laisser submerger par les regards des enfants gonflés d'amour, de curiosité et de gêne, aussi. Être simple, subir la générosité infinie, soliloquant sur le malaise de tant recevoir. L'esprit ne cavalcadant plus dans des explications rationnelles, non, le moment est trop beau, trop parfait, il se vit. Un voyage, une terre, le paradis.
- Etienne RUDAZ 2 janvier 2017
Quelques citations, réflexions...
„ La qualité de la présence à soi est la meilleure garantie de la présence aux autres. “
„ On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas reçu auparavant. “
„ Dans notre monde il y a des ombres et des lumières; des peines et des joies de la vie propres à chacun. Pour grandir et vivre mieux, il faut passer de l’ombre à la lumière en renonçant à certaines choses. Il faut cheminer. C’est le chemin le moins fréquenté mais il nous amène à la vérité et la vérité nous rend libre. “
„ La lame la plus tranchante n’est pas celle que l’on nous inflige, c’est celle que l’on garde en soi. “
„ La séparation amène toujours la croissance. “
- Auréa, présidente de l'association IBAKWE et responsable du foyer de Remera Partagées par Charlotte ROUILLER 13 novembre 2016
Trois semaines aux couleurs du Rwanda...
Tout d'abord le jaune. Le jaune sec de la brousse africaine, le doré des grues royales du lac Kivu, le jaune vif des pinsons migrateurs et le safran du lever du soleil. Ainsi que le vert.
Le vert persistant des milles collines, l'émeraude du foulard des brebis de Jésus, le vert brillant des feuilles de bananiers et le vert fluo des sandales des enfants. Viendrait ensuite le rouge.
Le rouge sang des martyrs du génocide, le pourpre des imigongos, l’ocre poussiéreux de la terre africaine et le bordeau du crépuscule.
Pour finir le bleu. Le bleu scintillant des lacs, l’azur du ciel, le bleu vif de l’uniforme des filles et le bleu de joie de la Vierge de Kibeho.
- Bastien AYMON 17 octobre 2016
Témoignage Rwanda
Ce n’est pas facile de raconter ce qui marque profondément le chemin terreux de l’existence. Heureusement, il est pourtant possible de partager quelques perles et épreuves du voyage l’Association Tête au Cœur au Rwanda durant l’été 2016.
8 juillet. Vingt Suisses s’envolent pour une terre inconnue. Ce n’est toutefois pas que la terre qui est inconnue : à peu près tout l’est. A l’inattendu ainsi que la surprise incessante de s’imposer, en ajoutant une pincée de providence divine.
« Chez vous, chez nous » nous exprima-t-on, à peine arrivés Foyer de charité de Remera, village situé au nord du pays. Chaque personne du groupe a été accueillie comme une sœur, un frère. Les bonnes relations, et j’oserais même le terme d’authentiques amitiés, n’ont pas manqué de s’établir facilement entre nous, voyageurs en quête de sens, mais aussi avec les Africains. Nous travaillions, priions, vivions avec eux.
Sur le lieu, la température de l’air n’était pas trop chaude, les chambres bien loties, les mets exquis, les journées douces et agréables. Ce fut bien là que se trouvait le véritable enjeu : puisque physiquement l’épreuve était minime, il fallait faire place à une guérison intérieure ; nous y fûmes automatiquement confrontés. De plus, les séances de discussion pour « entrer en soi-même », les incompréhensions, les émotions, les rencontres, le partage n’ont fait qu’y contribuer.
Bouleversants furent aussi et notamment les témoignages concernant le génocide de 1994. Plus de huit-cent mille morts en cent jours. Inutile de dire que, d’une manière ou d’une autre, chaque membre de la communauté a été touché par le drame. Il demeure moins évident cependant, qu’au cours de ces moments d’évocation historique, qui touchaient personnellement nos amis, la parole la plus prononcée était : pardon. Un pardon donné, un pardon vécu. Cela est étrange, difficile à saisir, beau et rempli d’espérance. Quelle leçon de vie !
Je crois en un voyage de la tête au cœur pour chacun, néanmoins ce n’est qu’ici, en Suisse, après un retour heureux, non sans un brin de nostalgie, que la véritable aventure commence : celle de cultiver avec confiance, au quotidien, la semence d’amour et de joie reçue au Rwanda.
- Loris SALVATORE MUSUMECI 28 septembre 2016 Article également publié dans le N'APP News
Rwanda. La terre du silence.
Une paix. C’est le premier ressenti que j’exprimerais en parlant de ce voyage, de ce pays.
La paix des silences.
Il y a le silence des paysages. Ce pays aux mille collines, ces sentiers en terre rouge, ce lac aux îles innombrables, ces volcans aux flancs luxurieux, cette savane vivante d’animaux sauvages, ces champs interminables, ces couchers de soleil rouges. Il y a le silence de la vie, une vie sans complication quotidienne ni pensée futile, une vie que l’on ne s’imagine pas, que l’on ne théorise pas, une vie que l’on accueille. Cette population si réjouie par l’étranger et la nouveauté, si généreuse et pleine d’amour envers celui qui se présente, dans les repas offerts, les chants d’accueil, les cadeaux de départ. De la danse, beaucoup de danse, et du chant, des messes animées par le djembé, des journées ponctuées par le travail de la terre dans les villages et par des services au foyer, la cuisine, le repassage, la vaisselle, les cours de français. Des femmes et des hommes pieds nus, la tête surplombée par de grandes charges, des bébés accrochés au dos de femmes, d’enfants. Il y a là une vie simplement vécue, sans pourquoi et sans demain. Et une passion, une passion indicible pour la vie.
Il y a le silence de l’horreur, celui de la douleur gravée dans les regards de commémoration. Un pays durement éprouvé et une population décimée. 100 jours, plus de 800 000 morts. Des listes de personnes à éliminer, des cartes d’identité, telles des bombes à retardement, marquées par la différence ethnique, des églises explosées, des enfants décapités, démembrés, à la machette, des femmes violées, des voisins meurtriers, des amis traîtres et trahis, des fosses communes, des cadavres jonchant les rues, une épouvante omniprésente et sans fin. « Le silence des oiseaux ». « Le Rwanda était devenu une île désertée et abandonnée au cœur du monde, tout était silencieux, il n’y avait plus que l’horreur. » Des témoignages à n’en plus finir, au mémorial, au foyer, dans les familles où nous avons été accueillis, tous plus improbables et inimaginables les uns que les autres.
Il y a le silence de la prière, celui qui ne court pas après le temps et l’argent, après l’efficacité et la rentabilité, celui qui prend le temps de taire son cœur et d’écouter. Des églises bondées, des femmes allaitant ou changeant leurs bébés pendant la célébration, à la paroisse du village, des centaines d’enfants silencieux et immobiles à la messe, pendant les forums organisés par le foyer, des chants qui viennent du cœur, la voix portante. Une prière simple, du quotidien, qui n’oublie jamais ses racines mais qui ne les enjolive pas. Des hommes qui en vivent et nous en font vivre.
Et par-dessus tout, il y a le silence du pardon. Des hommes et des femmes, ceux de la communauté, qui viennent en aide à leurs persécuteurs en leur permettant de sortir de leurs traumatismes. Ces mêmes personnes qui accueillent les ouvriers qui ont détruit et maltraité leur foyer durant leur exil, leur proposant de les réengager s’ils acceptent de cheminer vers la paix commune. Une Aurea, responsable de la communauté, qui est allée au Canada suivre une formation en psychologie humaine « Ibakwe » signifiant « aigle » afin de pouvoir offrir son pardon et revenir dans son pays guider les autres sur cette même voie, nous y guider également, au travers de formations suivies au foyer. Un gouvernement qui a choisi l’exigent chemin de « traiter la question une fois pour toute et rétablir ainsi l’unité et l’intégrité de la nation. » 1 en réinstaurant des tribunaux ancestraux de village, les Gacaca. Ces tribunaux qui se veulent axés sur la recherche de la vérité, sur l’aveu, et qui accordent une réduction des peines à celui qui reconnaît avec sincérité et demande pardon. Un peuple qui refuse à présent de dévoiler son ethnie afin de pouvoir reconstruire une paix et une fraternité durable avec ses compatriotes, malgré les différences. Un pays qui marche vers l’avenir en réinsérant les milliers d’orphelins dans des familles, en mettant l’accent sur le processus de deuil et de guérison, d’acceptation, de pardon. Et ces rires. Le rire de ces femmes qui témoignaient de l’horreur avec le sourire, nous racontant que dans leur précipitation de s’enfuir elles avaient pris « deux chaussures pas les mêmes ».
Nous avons été bousculés par ce peuple. Ils ont apporté au groupe une unité particulière, celle qui jaillit de la confiance partagée dans les témoignages, dans les temps de partage et dans les formations données, dans les danses, les jeux, les rires, dans les marches et les chutes boueuses. Ils nous ont offert la simplicité qui fait naître la joie d’être en vie, la joie de se donner. Ils nous ont insufflé un regard d’espérance, celui qui ne voit plus la guérison et le bonheur comme inaccessibles, celui qui se réjouit de petites décisions prises pour avancer, quelle que soit l’ampleur du chemin restant. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est cet amas de silences qui nous a comblés. Car là où les mots s’agenouillent face à la virilité de la terre, face à la vie nue, jaillit ce qui rempli. Et que souhaiter de plus cher à une Europe qui se noie dans le vide de l’égoïsme, dans le vide de sens, celui de l’individualisme, du plaisir exclusif, de la tiédeur ? Taisons nos technologies et nos préjugés, taisons notre volonté de tout comprendre et de tout maîtriser, taisons notre vie qui ne s’arrête jamais, taisons notre cœur. Cheminons avec confiance vers l’aube d’une terre comblée, celle qui fera de nous des hommes et des femmes debout.
- Justine AYMON 4 Septembre 2016 Article numéro 20 publié dans le Regard Libre 1 Paul Kagame, président rwandais, à l’occasion de la cérémonie de clôture des gacaca à Kigali, 18 juin 2012